De Qingdao (青岛) à Weigfang (潍坊), le CRH(*) traverse à vive allure une vaste plaine en quasi-monoculture céréalière, piquée de villages collectifs, cités-fermières comme on avait des cités-ouvrières. Une organisation inconnue en France où le paysan est viscéralement indépendant et où le village tire son charme de son apparent désordre. On aimerait en savoir plus, mais qui pourrait m’informer ? La plupart des étudiants étant enfants des villes, ils sont déjà bien en peine de me citer la saison des cerises, alors me parler des Chinois des champs…
De Weifang à Zibo (淄博), c’est Almeria. Des serres à perte de vue. Au-delà, la nuit m’a privé du spectacle des campagnes chinoises. Dans ces moments-là, j’envie vraiment mes amis Christine et Eric qui parcourent l’Asie à vélo.
La nuit et le bercement du train incitent à la rêverie. Dans mon souvenir, la Qingdao lumineuse de cette dernière journée n’est déjà plus qu’un souffle léger, une brise têtue, une promenade à la fraîche, une larme de Méditerranée échouée sur une plage du Pacifique. Plus que l’allemande, c’est la Qingdao méridionale que je garderai en mémoire. Chacun voit Midi à sa porte ! Depuis mon séjour à Alexandrie en 2008, je n’ai pas revu ma Grande bleue, si bien qu’un rien me l’évoque.
Je me demande comment le goût de la mer est venu aux Chinois. Le goût dans sa forme moderne, du loisir, pas celui du commerce et de la guerre. Je n’ai pas le souvenir que les empereurs chinois aient un jour apprécié les bains de mer, pas plus que nos rois du reste. Pas de représentation de mers dans les rouleaux exposés aux musées ; le repos impérial se goûte en montagne, près d’une eau vive et d’un sage en caverne visité pour son oracle. Les Chinoises se méfient du soleil, au point d’utiliser des crèmes anti-bronzantes, elles portent l’ombrelle lorsque le soleil se fait trop vif, elles n’exposent pas leur corps en public. J’aimerais en savoir plus. Ce qui s’invente à Qingdao, est-ce une imitation occidentale, le pastiche d’une copie allemande dont l’original serait la Côte d’Azur ? Où se glisse l’identité dans les comportements balnéaires ? Quelles valeurs de soi, du regard des autres, nourrissent et portent ce nouveau tourisme ?
Invention bourgeoise du 19e s., le tourisme balnéaire s’est diffusé en Occident au milieu du siècle dernier sous sa forme ‘massive’. auprès d’un peuple jaloux qui ne voulait pas tant abolir les privilèges que d’en bénéficier à son tour. On a vu ce que coûta cette prétention égalitaire à nos rives nord et sud de la Méditerranée (et l’or blanc à nos montagnes). Si demain le goût des plages gagnait les 1,3 milliards de Chinois et qu’ils disposent d’assez de temps et d’argent à y consacrer, qu’ils raisonnent en résidences secondaires et hôtels-club, que les retraités s’exilent, ce phénomène aujourd’hui marginal deviendrait une industrie phénoménale. Les douces côtes du Shandong en seraient métamorphosées. On en est loin, mais au train où vont les choses en Chine…
(*) Qingdao-Beijing sud, train grande vitesse CRH D56, 17h10-22h48.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Qingdao-sur-mer ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2011/05/qingdao-sur-mer/>