Juin 212011
 
Wutai Shan (Chine)
 

Wutai Shan est un joyeux synchrétisme de deux religions. L’une fort ancienne, le bouddhisme, l’autre toute jeune, le tourisme. L’alliance pérégrine de ces deux cultes populaires est cocasse, moins tactique et opportuniste qu’il n’y parait. L’intérêt bien compris de ces deux univers antagonistes (le Repos Céleste et le Mouvement) n’est en effet pas nouveau. On pourrait même affirmer sans grand risque que les pèlerinages internationaux (Compostelle,  Jérusalem,  Bénarès, La Mecque) ont été à la naissance du tourisme, avant même le Grand Tour aristocratique du 18e s(*).

Un sociologue chinois ne perdrait pas son temps à sonder la clientèle de Wutaishan, ses motivations, son comportement. A observer les Chinois en visite ici, un constat s’impose : le patrimoine ne semble pas la préoccupation première de ces touristes, c’est bien l’interaction avec le religieux qui fait l’intérêt du voyage. Certes, les catégories sont moins étanches en Chine qu’en Occident  (ne serait-ce parce que ces catégories sont les nôtres, reflets de notre propre culture), pensons à religion, philosophie, littérature, peinture, poésie, théâtre, arts martiaux, mais ce que l’on range en France sous le vocable « tourisme religieux » est certainement plus souple ici. Ainsi, à Wutai Shan, certains n’hésitent pas à revêtir la robe du bonze pour l’occasion, d’autres sont de vrais bonzes en pèlerinage, d’autres visiteurs en groupe se font organiser en grande pompe une cérémonie religieuse avec chants, photo et DVD souvenir. Beaucoup de laïcs sont encadrés par des moines. Même au sein de groupes peu fervents, certains apprennent sur le tas les gestes a minima des prières. Je soupçonne même d’incurables athées, encartés au PCC, de faire tourner les moulins à prière, et de brûler un peu d’encens faisant peut-être leur l’adage populaire « si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal !»

Tout cela est sans doute rendu possible par l’attitude relativement conciliante du PCC vis-a-vis du religieux – tant qu’il reste sous son contrôle. Cette attitude a permis un net regain de l’expression de la spiritualité après un demi-siècle d’un matérialisme idéologique. Il est saisissant qu’à travers le tourisme, ce soit le matérialisme consumériste, capitaliste, qui donne des ailes (tant idéologiques qu’économiques) à cette spiritualité.
Je m’aventure là en terrain inconnu, mais un tel mix tourisme-religion est peut-être facilité par le caractère du bouddhisme, moins sévère, moins grave, moins moral, moins engageant, moins exclusif que le christianisme. Mais guère moins formel. En visitant Wutai Shan, on retrouve la pompe propre aux religions très élaborées, de celles qui firent le nom de Byzance et de Rome par exemple : le feu (cierge, encens), l’habit (pourpre, safran, gris), l’architecture et ses fonctions (le temple clos, la salle de prière, le stupa, les tours de la cloche et du tambour), l’iconographie (« dieux » bouddha, « saints» arhats, statuaire, peinture narrative), les textes sacrés (sutras), le clergé et le monachisme (bonzes, bonzesses), le miracle (la prière intéressée, les lieux favorables), la reconnaissance du politique (stèles impériales), les rites (lama, chants collectifs, musique et chants sacrés) et même la circumambulation(**).


(*) Wikipédia, entrée Grand Tour
(**) Quelques infos pratiques
Temple Tayuan, 10 ¥. Ne pas nanquer la tour Da bei lou pour le point de vue.
Temple Xiantong, 10¥. Etonnant pavillon en brique imitant le bois.
Un bon et simple restaurant dans le village de Taihua, dans la petite rue qui prend sur la route principale et se dirige vers l’hôtel, à 50 m, au décrochement.
Hôtel Foguo, accueil simple et généreux. Chambre simple avec sdb, 60 yuans en basse saison. Petit déjeuner au rez-de-chaussée. Dans tous les hôtels, beaucoup de bruit dès l’aube.