Le quartier de Belleville n’en finit pas de se mettre en scène, de se donner en spectacle, plus ou moins à son corps défendant, en tout cas dans l’indifférence du plus grand nombre de ses habitants. Il n’est pas de semaine sans que son nom, son histoire, ses figures tutélaires ne soient invoqués, dans un film, un livre, un documentaire, un magazine, une thèse de sociologue. Cette exposition médiatique peut paraître flatteuse au Bellevillois, mais n’est-ce pas là le symptôme d’un mal nouveau. Car la mémoire, en incantation perpétuelle, peut tuer. Tuer le présent dans une overdose passéiste, dans un déni de réalité, dans une reconstruction hasardeuse qui enferme le quartier dans une identité, un folklore immuable.
Et si ce joli conte du Belleville-village à la Willy Ronis n’était qu’une publicité un tantinet mensongère destinée à faire grimper le prix du m² et à chasser les derniers habitants populaires ?
Et comment dépasser la carte postale, le mythe qui plait tant et dont nous avons pourtant tous besoin, pour que cet héritage reste opérant comme expérience de vie sociale, politique, humaine ?
C’est une des questions du débat qui a suivi la projection de deux films du « Roman de Belleville »(*).
Autre interrogation portée par les contraintes du temps. Qui, parmi les habitants, est dépositaire de cette mémoire, qui peut la revendiquer, la défendre, la rectifier quand elle s’égare ? Si je prends l’exemple de mon immeuble pourtant construit en 1903, le plus ancien habitant est arrivé de l’ex-Indochine dans les années 70 ! Et les trois quarts des autres résidents n’ont guère plus de dix ans d’ancrage dans le quartier et pour la plupart n’y travaillent pas. Face à une telle mobilité spatiotemporelle et à une grande atomisation, dans quelle mesure se constitue, se transmet, s’approprie, s’intériorise la mémoire d’un territoire qui n’a vu ni travailler, ni vieillir ses parents et ses proches ? Question nouvelle pour temps nouveaux.
(*) Projections organisées par l’association Trajectoires.
• « Belleville est un roman »
Film documentaire de José Reynes 1996 (72 mn)
Le film part à la rencontre des auteurs qui ont habité et fait déambulé leurs personnages à Belleville.
et un grand absent Daniel Pennac.
Auteur d’un roman policier se déroulant à Belleville, l’écrivain Serge Quadruppani revient livre en main sur les lieux qu’il décrit, confrontant oralement son texte à la réalité avec l’aide d’habitants du quartier. Il interroge d’autres écrivains inspirés par Belleville, qui se livrent au même exercice. Fondé sur une démarche originale, ce documentaire permet de découvrir Belleville d’une manière inhabituelle, par le biais de la fiction policière.
• « Belleville »
Série « Voyage au bout de la rue », film documentaire d’Emmanuelle Destremau avec Florence Loiret-Caille 2005 (52 mn)
A la recherche d’un mystérieux chanteur appelé « Spleen », la comédienne Florence Loiret-Caille déambule dans l’éclectique quartier de Belleville, le jour ou la nuit, faisant des rencontres pittoresques et inattendues. Sur le principe de cette série documentaire, cette quête est prétexte à une découverte, ludique et instructive à la fois, des lieux connus, inconnus ou méconnus d’un quartier de Paris et de son histoire.