Pour ceux qui n’auraient trouvé finalement que du bon sens dans les assertions de M. Guéant sur la hiérarchie des civilisations ou qui ne savent pas comment décrypter son propos, l’anthropologue Françoise Héritier nous propose un détour éclairant par les sciences sociales(*).
S’il me semble légitime de ne pas vouloir être membre d’une société contemporaine dont certains aspects ne sont pas en phase avec les valeurs dans lesquelles j’ai été élevé et auxquelles je suis attaché, s’il m’arrive de souhaiter parfois que telle société lointaine évolue dans tel ou tel sens (vieille prétention universaliste), cela ne m’autorise en aucun cas à porter un jugement de valeur global et définitif sur une civilisation et à intervenir massivement pour orienter le cours de son histoire.
Peut-on oublier si facilement que « notre civilisation », ensemble flou mais qui ne fait sens que sur plusieurs pays et plusieurs siècles, puisse aujourd’hui se prétendre supérieure alors qu’elle a produit tout récemment des guerres mondiales épouvantables, des camps d’extermination, des colonisations économique et politique encore à l’oeuvre, développé des menaces nucléaires civile et militaire qui pèsent sur toutes les civilisations, qui a consommé goulûment et égoïstement les ressources naturelles de la planète, qui marginalise des pans entiers de ses membres ? Un simple coup d’oeil dans le rétro-viseur devrait ramener à plus de modestie, ou alors c’est être bien arbitraire sur les critères d’une échelle des civilisations par ailleurs impossible à graduer.
Les propos de M. Guéant, dont on sait ce qu’ils portent d’opportunisme politique, font honte à notre civilisation en plagiant les pages les plus sombres de notre histoire dont visiblement notre si valeureuse civilisation peine à nous prémunir.
(*) Françoise Héritier : « M. Guéant est relativiste », LEMONDE.FR | 11.02.12