Hier soir, l’association Trajectoires et le collectif Docomoto poursuivaient leur cycle de projections-débats Belleville-Ménilmontant en images(*). Un petit film sur Marcel Rozental, figure du quartier, aujourd’hui disparu, ancien ouvrier et syndicaliste CGT, précédait l’intervention de Pierre-Jacques Derainne qui retraçait en chiffres et en images l’apogée puis le déclin du Belleville ouvrier(**). Alors que Belleville se fait ville et prend part à la Révolution industrielle, les St-Simoniens, agitateurs d’utopies sociales, installent leur « couvent » vers 1830 rue de Ménilmontant bientôt rejoints par les communistes utopistes. En 1840, se tient à Belleville le premier « banquet communiste ». En 1848, 40% de la population parisienne est ouvrière et l’industrie continue à s’étendre à Belleville, lorsque les petits métiers du centre-ville sont chassés par les travaux d’Haussmann. A son rattachement à Paris, le tissu économique du 20e apparaît comme un continuum de celui du 11e très industriel. En 1872, 70% des habitants du jeune arrondissement vivent d’activités industrielles dont la métallurgie. Une vaste usine à gaz (au sens propre !) existe du côté de la rue Rébeval. Les corporations ouvrières se développent. La coopérative la Bellevilloise comptera jusqu’à 8000 sociétaires, 167 employés nous rappelle l’historien(***). Autre « institution », à partir de 1936, la maison des Métallos devient un haut lieu du syndicalisme francilien. L’Entre-deux-guerres voit se développer l’industrie du cuir et de la confection, à domicile, en atelier ou en usine (1930, cité Loubeyre). Les Trente glorieuses sonnent la désindustrialisation de la ville. En 2008, les ouvriers ne représentent plus que 13% de la population active alors que l’on compte 25% de cadres.
Pour conclure la soirée le film Ca va ça vient semblait faire le trait d’union entre le monde ouvrier et son habitat(****). Un joyeux film d’une époque saltimbanque sur fond de démolition du vieux Belleville pour faire place aux tours de la Place des Fêtes. A l’issue de la projection, on n’ose demander à Pierre Barouh, bon pied, bon oeil, comment on pouvait tourner des films aussi longs et d’aussi piètre qualité technique. Ca restera sans doute la signature de cette époque post-soixante-huitarde. On y voit le jeune Jérôme Savary à la tête du Grand Magic Circus et tout plein de personnages sans souci du lendemain. Même les questions d’identité, aujourd’hui incontournables de tout document sur le quartier, ne sont même pas verbalisées. Déni, tabou ou absence d’intérêt ?
Bonus du film tourné en 2010
(*) Cycle « Belleville-Ménilmontant en images » Saison 2, dimanche 5 février 2012 – Séance n°8 – Mémoires ouvrières.
(**) Marcel, les mémoires d’un métallo, film d’atelier réalisé par Canal Marches, avril 2009, 1ère partie, 13mn.
(***) dont une épicerie de la Bellevilloise rue Lesage.
(****) Ca va ça vient, fiction de Pierre Barouh (1970, 1h52). Avec Areski Belkacem, Jérôme Savary, Miou-Miou, Elie Garguir…
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Mémoires ouvrières ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2012/02/memoires-ouvrieres/>