Tarifa est faite de ruptures. Il y a sept siècles, elle a rompu sèchement avec son passé almoravide. Rupture politique, culturelle, religieuse radicales. Du haut de la tour de l’ancienne forteresse musulmane, la vue bute sur le port et ses deux ferries. De part et d’autre de la jetée, mer et océan se disputent le détroit de Gibraltar. Nouvelle rupture géologique et géographique sur fond d’incompatibilité de caractère ; ici, la quiète Méditerranée divorce de la tempétueuse Atlantique. Cette rupture en cache une autre sociale et économique, lourde de conséquences humaines. L’Europe continentale atteint là son point le plus méridional. Une quinzaine de kilomètres la sépare alors de l’Afrique. Tentation trop forte pour les candidats à l’exil à la recherche d’un avenir meilleur.
Aujourd’hui encore, une patera s’est perdue en mer. Le ferry qui fait la navette entre Tanger et Tarifa n’a retrouvé à son bord que deux survivants exténués. Un membre de l’équipage du ferry aurait été broyé par le moteur en voulant leur porter secours(*). Voyage amer.
A la sortie de Tarifa, derrière de hauts murs, un beau cimetière andalou domine la mer, coincé entre un Lidl, une autoroute, des collines d’éoliennes. On y enterre les corps des candidats malheureux à l’eldorado occidental retrouvés le long des plages de kite surf. Comme un dernier pied de nez à ces morts anonymes, à deux pas de l’entrée, les deux compagnies de ferry de disputent les mérites du plus court chemin pour traverser le détroit de Gibraltar. 35 mn, autant d’euros. Visa Schengen non compris.
(*) Naufrage en Espagne, deux morts et deux disparus, Le Parisien, 2 mars 2013.