Yves Traynard

Retour en pays fertois(*), pour découvrir Jouarre et ses célèbres cryptes mérovingiennes. Leur exceptionnel état de conservation en font un témoignage rare d’une dynastie royale qui reste nimbée de légende dans notre histoire de France. Juste devant, l’église Saint-Pierre et Saint-Paul possède également de précieuses curiosités, comme cette pierre du 14e s. dont la gravure peint le tableau vivant de deux sonneurs de cloches. Reliquaires, chasses dorées, pietà, sculpture sur albâtre et statues font de l’église une vraie antre d’antiquaire.

En se dispensant sans grande perte du colimaçon qui conduit aux étages de la tour romane, rien n’interdit au piéton matinal de poursuivre sa route jusqu’à Saint-Cyr-sur-Morin. La rencontre de deux Pierre a fini par produire un peu de notoriété à ce paisible village de Saint-Cyr que le train déserta en 1947, et qui fleure bon la glycine et le lilas. L’écrivain Pierre Mac Orlan y passa la majeure partie de sa vie. L’auteur du roman « Le Quai des Brumes », personnage haut en couleur, plus conteur que baroudeur, reçut ici de nombreuses célébrités. Sans descendance, il légua sa maison, ses droits d’auteur et ses souvenirs à Saint-Cyr. Un prix Mac Orlan est remis chaque année par un comité présidé par Pierre Bergé. Il récompense un ouvrage proche de l’univers de Pierre Mac Orlan : l’aventure maritime, réelle ou imaginée, les ports, les quartiers chauds, les soldats, les marins, les filles de joie, la poésie sociale, le Paris populaire… pour que, comme Brassens l’indiquait l’auteur continue de « donne[r] des souvenirs à ceux qui n’en ont pas. » Voilà pour la commune et le premier Pierre.

A Saint-Cyr, un autre Pierre, moins illustre, va faire le bonheur du département : le tenancier de l’auberge « La Moderne », Pierre Guibert. Grâce aux objets du terroir qu’il a collectés et transmis avec son auberge, le 77 a trouvé un fond conséquent pour ouvrir son nouveau musée de société et de territoire, reléguant celui de la civilisation paysanne de Jouarre au registre du folklore(**). Le rez-de-chaussée fait la part belle à l’agriculture et à la petite industrie locale des deux derniers siècles. Les outils présentés brillent presque trop, mais les cartels sont sensibles aux questions du temps.

L’imaginaire contemporain prête volontiers à la société préindustrielle, des couleurs doucement nostalgiques. Pour lui, le village d’autrefois est ce lieu d’utopie où s’épanouissent paisiblement les beaux sentiments.

Mona Ozouf.

Toutes les valeurs auxquelles les agriculteurs ont cru semblent s’effondrer. Ils pensaient avoir pour mission de nourrir l’humanité, on leur dit qu’ils produisent trop et qu’il faut geler une partie des terres qu’ils ont eu tant de mal à acquérir. Ils pensaient entretenir un patrimoine séculaire, on leur dit qu’ils polluent et qu’ils contribuent à détériorer l’environnement…
Un paysage de qualité est le fruit d’une activité agricole qui s’étale sur plusieurs siècles. Ce patrimoine culturel peut être mis en cause en quelques années…

Lucien Bourgeois, Politiques agricoles, 1993.

A l’étage, outre une belle salle consacrée à l’oeuvre de Mac Orlan qui vous plonge dans son oeuvre(***), une exposition temporaire s’intéresse à l’univers du travail. Malgré les textes rapportés par l’ethnologue, la centaine de portraits de groupe peine à atteindre le sensible revendiqué(****). La scénographie de cette exposition me rappelle les cimetières chiites d’Iran, avec leurs vitrines morbides sur pied, de martyrs alignés sans fin. On est glacé par ces uniformes, ces poses, cette absence raisonnée de joie, ce souci de commande d’afficher une modernité professionnelle.

A Saint-Cyr-sur-Morin, jamais deux sans trois. C’est au tour de l’Auberge de l’Œuf dur et du Commerce d’être restaurée grâce à l’appui de la région Île-de-France(******). L’auberge fut une sorte de prolongement banlieusard du Lapin Agile montmartrois. On pouvait y croiser Roland Dorgelès et Francis Carco, le romancier des Apaches.

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(*) Paris – La Ferté-sous-Jouarre. En train direct au départ de Paris-Est, direction Château-Thierry (Transilien P). Bus direct pour Jouarre, au départ de la gare (41). Se faire connaitre à l’office de tourisme de Jouarre (ouvert également le week-end) pour la visite des monuments. Pour gagner Saint-Cyr-sur-Morin, descendre par le chemin qui rejoint l’arrêt de bus Vanry (ligne de bus 34) à l’est de Jouarre (30 mn). Les bus sont rares, se renseigner sur les horaires. Le dimanche, pas de transports en commun. Compter une heure de marche depuis la gare de la Ferté pour Jouarre et renoncer à Saint-Cyr.

(**) Musée de la Seine-et-Marne.

(***) « La vie de Pierre Mac Orlan peut être divisée en deux parties. Après une enfance assez mal connue et restée relativement mystérieuse, commença une vie de jeune adulte durant laquelle il mena toutes les expériences qui nourrirent plus tard les thèmes de son aventure littéraire : la vie de misère à Montmartre la guerre, le reportage et le journalisme, les voyages, ceci jusque dans les années 30 ; puis à partir des années 40, commença une période durant laquelle il s’éloigna de moins en moins de Saint-Cyr-sur-Morin. Son univers campagnard et paisible devint alors le théâtre de ses expériences passées, expériences productrices d’images présentes dans une oeuvre qui fut qualifiée par l’écrivain de « fantastique sociale » : ce paradoxe entre un désir existentiel tourné vers le voyage et l’aventure et un univers tranquille et pantouflard plus propice au souvenir, au « voyage imaginaire » résume la personnalité complexe et contrastée de Pierre Mac Orlan. » Cartel du Musée départemental des Pays de Seine-et-Marne.

(****) Exposition Pose travail… en Seine-et-Marne, 23 mars au 29 décembre 2013, 105 photographies de Seine-et-Marnais au travail par Guy Hersant.

(*****) L’Auberge de l’Œuf dur et du Commerce sur Wikipédia.

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