Le soleil cogne sur le petit chemin escarpé qui m’éloigne pour la première fois d’Ubud. Un hotel club avec bungalows perchés au-dessus des rizières m’accueille. Un thé au gingembre pour souffler de la petite marche qui m’a conduit ici. Tout semble si serein. Impeccablement balinais. Les fontaines, la piscine, les fleurs, les gamelans qui tintent, jeu d’ombre et de lumière, de souffle tiède et de brise fraîche. Et puis il y a cette petite brochure sur le comptoir. Un A4 discrètement replié libellé comme une thèse : Bali’s economic crisis & how it’s affecting Education in the village of Bangkiang Sidem.
Que nous apprend-elle ? Le pouvoir d’achat s’est fortement érodé en l’espace de dix ans. La crise financière de 97 a entraîné la dévaluation de la roupie et la flambée des prix. Le riz par exemple a augmenté de 250 % alors que les revenus stagnaient. Second choc qui affecte tout spécifiquement Bali : les attentats meurtriers de 2002 et de 2005 pénalisent fortement le secteur touristique. Beaucoup y ont perdu leur travail. Le revenu annuel de certaines familles ne dépasserait pas 300 usd. La formation des enfants, parcequ’elle coûte en uniformes, en livres, en déplacements et parcequ’elle n’est pas «vitale» passe à la trappe bien à contre-coeur. L’hôtel(*) oasis de luxe dans cet univers de pauvreté, a créé une bibliothèque pour les élèves, finance livres et uniformes et attribue des bourses pour les meilleurs élèves sur les dons des clients et ses propres fonds.
Les motivations de l’hôtel sont sans doutes diverses :
– mode du tourisme solidaire,
– intégration harmonieuse de l’hôtel dans le village pour le confort et la sécurité de ses clients,
– demande des voyageurs se déculpabilisant d’un séjour de luxe
– mauvaise conscience générale
– …
Cette initiative a le mérite néanmoins de sensibiliser les voyageurs aux réalités du pays qui à Bali ne sautent pas aux yeux. Tout parait luxe, calme, et volupté. Chaque maison semble un palais de raja derrière ses hauts murs.
La démarche, si généreuse soit-elle, est porteuse d’inégalités. Le village de Bangkiang Sidem reçoit de l’aide mais pas les villages voisins. C’est le propre des initiatives individuelles très ciblées et leurs limites. De telles différences qui vont se traduire à terme par une hiérarchisation sociale peuvent conduire au conflit si l’Etat n’assure pas rapidement le relais de ces initiatives qu’on peut qualifier d’«inéquitables» sans pour autant les condamner puisqu’elles essaient de pallier à une injustice plus grande.
(*) Klub Kokos. Bangkiang Sidem, Ubud, Bali. Chambre à partir de 50 usd.
===== Programme et autres notes
En librairie : Franck Michel. En route pour l’Asie, le rêve oriental chez les colonisateurs, les aventuriers et les touristes occidentaux. Une critique du tourisme en Asie du Sud-Est.
Promenade des rizières : ne pas revenir par la route. Long, bruyant, sans intérêt. Préférer le chemin inverse.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Tourisme solidaire ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2007/06/tourisme-solidaire/>