En arrivant à Malacca je pensais rencontrer des Malais puisque j’étais en Malaisie. Je m’étais préparé à croiser des peaux halées, des visages ronds et moustachus coiffés du petit feutre noir façon Sukarno au bras de coquines en foulard. J’étais même impatient. Enfin j’allais utiliser mes rudiments de malais. Déception. Je ne rencontrais guère que des Chinois du crû qui m’ont parlé anglais et des touristes sinophones de Singapour. L’étape a failli tourner court. Je n’ai pas fait tant de kilomètres pour retrouver Belleville ! Mais mon sujet m’a retenu. Il me narguait : « T’as voulu du présent et bien regarde-le en face même s’il te déplaît ». La population du district de Malacca est en effet composée pour parts égales de Malais et de Chinois mais ces derniers – par leur origine – sont sur-représentés en ville. Eh bien, vertu du voyage au présent, j’ai fini par aimer au point qu’aujourd’hui je peine à quitter Malacca, sa diversité, ses cuisines aux saveurs infinies, son hospitalité un peu sèche mais sincère. Me voilà surtout plus motivé pour aller en Chine que de sombres préjugés m’ont longtemps fait détester. Une Chine dont il est devenu banalité de dire qu’elle façonne le monde de demain. Ces commerçants exercent leur influence bien au-delà de son aire traditionnelle qui passait par la Malaisie et l’Indonésie. Sa diaspora continue à s’implanter même en Afrique où elle investit jusqu’aux petits métiers des rues.
Les Chinois de Malacca eux-mêmes ne sont pas tous de riches investisseurs ou commerçants. Descendants («peranakans») des Chinois qui vinrent prêter main forte au colon britannique pour aménager le pays, ils exercèrent de durs métiers pour construire des routes, des chemins de fer, des plantations. Pour illustrer l’ampleur des migrations, en 1931 on comptait dans le pays 1,7 million de Chinois pour 1,6 million de Malais(*). Tous obtinrent la nationalité malaisienne après le retrait japonais de 45.
Il serait indispensable pour un voyage au présent de décrire ces communautés. Montrer à la fois leur diversité (origine, intégration sociale, économique, politique) et leur unité dans le mouvement migratoire. Les liens avec la communauté d’origine. Du métissage qui semble avoir disparu. Mais aussi le défit pour les populations malaisiennes, un temps tenues à l’écart du boom économique. Des risques d’embrasement.
Le cas de la communauté Portugis que j’ai rencontrée est nettement moins intéressant même s’il est très documenté et parle plus à un Européen. Il renvoie à ces colons du XVle s. qui coupèrent les liens avec la métropole et osèrent le métissage, un peu forcé et contraint il est vrai. On retrouve des exemples similaires au Mozambique. Ce même mouvement disparaît avec la colonisation à grande échelle qui condamne le métissage au tabou.
Les Portugis qui sont quelques milliers parlent un patois fortement imprégné de portugais, le kristong, auquel la minuscule communauté luso-malaise s’accroche. Et pour cause c’est son gagne-pain. Regroupé à partir de 1921 au sud de Malacca ils tiennent boutiques, restaurants («de Lisbon»…) et font des démonstrations de danse folklorique comme cet après-midi au gala de la police. Fervents catholiques ils accrochent des images pieuses au-dessus de leur porte. Métissage oblige n’imaginez pas reconnaître des Portugais. Il est singulier que ces derniers Mohicans qui ont leur (infâme) musée et vendent leur folklore à des touristes asiatiques ne soient pas des peuples premiers mais les descendants d’Occidentaux.
(*) source : Wikipedia. Depuis la démographie est favorable aux Malais.
Programme
– Loué un vélo à l’hôtel. Gare au coup de soleil aux heures chaudes. Je comprend pourquoi les motocyclistes portent une veste (enfilée a l’envers) pour se protéger des coups de soleil sur les bras et des infectes
– visite du fort St-Paul
– déjeuner à medan Portugis désert. Jetée à l’abandon. Quai nauséabond. Promenade dans les trois ruelles de Medan portugis. Christ au-dessus de la porte, maison malaise basse. Déjeuner au restaurant de Lisbon. Crevettes au gingembre. Le petit musée portugais ne présente que quelques photos jaunies de la communauté.
– démonstration de police à medan Merdeka. Fanfare avec cornemuse, démonstration de danse portugaise, simulation de vol et arrestation par la police. Défilé des cadets de la police. Peu de Chinois, beaucoup de Malais dans les rangs. Cornemuse ! Démonstration de danse par dames policières.
– baignade à la piscine municipale, aucune plage correcte en ville
– Lu dans une brochure : «L’Angleterre nous a laissé la démocratie.»
– Intronisation d’un roi par roulement ! Le concept de monarchie en prend un coup ! Gouvernement fédéral très original.
– soir promenade sur Jonker st. fermée à la circulation pour la soirée.
– dégusté un Cendol, dessert glacé sublime. Un lit de haricots rouge cuits à l’eau et de vermicelles de jeunes haricots verts surmontés de beaucoup de glace, coco et de caramel. Chez Jonker dessert. Toujours beaucoup de touristes ce week-end.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « J’ai bien failli repartir ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2007/04/jai-bien-failli-repartir/>