56 maisons de pierre, 67 paillotes. En 1860, le petit port, embryon de la future Maputo, posé sur la large baie de Delagoa n’est rien. Il faut attendre 1874 pour qu’un service régulier de vapeurs se mette en place avec les ports de l’Afrique orientale. La ville doit sa fortune à la découverte d’or et de diamants au Transvaal sud-africain dont elle constitue le débouché maritime de la précieuse production. La voie ferrée vers l’intérieur débutée en 1887 la consacre définitivement dans ce rôle. En 1902 ce qui n’était qu’un simple comptoir devient officiellement capitale de la Colonie portugaise au détriment de la ville historique d’Ilha de Mozambique. Au port, le quartier des affaires est alors divisé en deux zones, une européenne, l’autre indienne.
Malgré ce nouveau rôle son expansion reste lente. En 1950 elle ne compte que 23 500 Blancs et 58 000 Africains. 20 ans plus tard, peu avant l’indépendance on dénombre 83 500 Européens sur ses 378 000 habitants(**).
La ville porte la marque de la profonde ségrégation raciale qui règne jusqu’à l’Indépendance(*). Il y a deux Maputo. La ville de béton ou « Cimento », les meilleurs quartiers destinés aux Blancs et la ville noire «Caniço», qui signifie roseau et en dit long sur la qualité de sa construction. Mais même répartie en deux zones, la ville n’est pas homogène. Les bairros prisés de Cimento sont Punta vermelha, Polana et Sommerschield qui dominent l’Océan. Ils sont réservés aux cadres de la Colonie. Mon quartier, plus à l’intérieur abritait les acteurs du tertiaire moyen et inférieur, qu’ils soient Blancs, Chinois ou Indiens. De la même façon la Canico « indigène » rejetée derrière la ville blanche s’étalait de manière concentrique avec une qualité d’habitation de plus en modeste au fur et à mesure que l’on s’éloignait du centre.
Cette ségrégation n’a pas disparu à l’Indépendance et le départ précipité d’une grande partie de la population européenne. Polana abrite désormais hommes d’Etat et ministres, Sommerschield, les ambassades. Fonctionnaires et bourgeoisie d’affaires se sont installés dans les quartiers de Central et d’Alto et mon quartier voit la cohabitation de Noirs et d’Indiens du petit tertiaire. Tout cela ne doit rien au hasard. Après une appropriation sauvage des habitations libérées par les colons, le gouvernement mozambicain, voyant les immeubles coloniaux se dégrader rapidement, a réaffecté les locaux en fonction de la capacité du détenteur à les maintenir en état.
Le Caniço, lui, pousse ses tentacules en direction des banlieues industrielles de Machava et de Matola où s’étaient installées dès l’époque coloniale de petites industries propres à alimenter le marché intérieur et limiter les importations. C’est aujourd’hui une vaste banlieue du Tiers-Monde juste survolée à mon arrivée que je visiterai pour préparer l’ouverture de l’agence de notre institution de micro-crédit.
(*) Maputo comptait en 1980 755 000 habitants, aujourd’hui sa population est estimée à plus d’un million.
(**) Cette analyse doit beaucoup à deux articles parus dans « Bourgs et villes en Afrique lusophone », L’Harmattan, 1989.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Cimento et Caniço ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2006/06/cimento-et-canico/>