Un crachin tenace m’a chassé de Wutai Shan un jour plus tôt que prévu. Sans météo favorable, que faire noyé dans le brouillard à 1800 m d’altitude ? Les temples lassent assez vite le profane, le tintamarre des pélerins pour les matines de l’aube aussi, l’unique rengaine bouddhiste entonnée de boutique en boutique finit par devenir lancinante.
Seuls l’accueil et le modeste confort de l’hôtel Fo Guo auraient pu me retenir plus longtemps, mais il y a Datong et ses merveilles annoncées. Va donc pour le monde houllier du Shanxi.
Les quatre heures de trajet s’annonçaient mal(*). Passagers au noir, Harry Potter en chinois à l’écran, co-pilote qui fume, débats sans fin entre les vendeurs de billets : 1/2 h de palabre, dont 1/4 h bus à l’arrêt mais moteur en marche !
Mais tout fut vite pardonné lorsque, sitôt sorti de Wutai Shan, le chauffeur a pilé pour épargner un pigeon. J’ai revu d’un jour plus favorable les errements du départ. Après tout, le film avait été choisi en l’honneur du laowai, le marché noir de billets permet au bus de ne pas rouler à vide, les chargements intempestifs au bord des routes bénéficient aux passagers isolés et non motorisés ; enfin, effort louable, le co-pilote n’a fumé qu’aux arrêts. Versatile voyageur qui selon son humeur voit tout en noir ou tout en blanc.
Au col nord, à près de 3000 m, la flore parait exceptionnelle, comme peut l’être notre flore alpine en juin. J’ai aperçu de ma vitre suintante des coquelicots jaunes et des primevères rouges (hallucinations ?), et bien d’autres fleurs qui m’ont une minute fait regretter d’écourter ce séjour. Abîme d’indécision du voyageur trop libre. Mais oublions, il faudrait une voiture ou camper.
Le versant nord du massif est plus minéral. On y double des vaches en liberté, de pauvres villages accrochés aux rochers, courettes horriblement encombrées. Passé Shahe, c’est le retour des terrasses taillées dans ce loess tendre qui caractérise Shanxi, Shaanxi et Hubei. Lorsque surgit la plaine (ou plutôt le plateau) et Datong, ses « grands ensembles » de part et d’autre d’une immense rivière asséchée, on pense au rêve éveillé d’un promotteur immobilier mégalomane et l’on regrette d’avoir quitté un peu trop vite la montagne.
(*) bus Wutai Shan (gare routière) – Datong, 75 ¥, départ 7h30. Le bus de 8h déposerait au monastère suspendu (info non vérifiée). Celui de 7h30 passe à Muta, à 3km de la fameuse pagode de bois. Le bus 4 relie la gare ferroviaire de Datong au centre-ville.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Col brumeux ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2011/06/col-brumeux/>